Pic de production de pétrole

L’expression « Il reste 40 ans de pétrole » est trompeuse. Elle laisse croire que les problèmes de disponibilités en pétrole se poseront d’ici à 4 décennies. Or la déplétion rend la réalité bien différente, car ce qui compte pour nos sociétés, c’est le débit de production et non l’ampleur des ressources, et le débit diminue bien avant la fin des ressources.

Pic d’un gisement

Lorsqu’un gisement est mis en production, le débit augmente rapidement jusqu’à atteindre un maximum appelé pic de production. Ce maximum se prolonge souvent quelques années, ressemblant davantage à un plateau qu’à un pic, grâce à l’injection de fluides dans le gisement pour maintenir la pression. Mais la pression finit par baisser, la fraction en eau et en gaz extraits avec le pétrole augmente, et le débit de pétrole décline. Cette phase de déclin constitue souvent la majeure partie du cycle de production. A titre d’exemple, la Figure 1 montre le comportement de l’un des plus gros gisements offshores norvégiens, Statfjord. Ce dernier met 8 ans pour atteindre son pic, y reste 7 ans, puis entre en déclin exponentiel en 1994.

Figure 1 : Evolution de la production de pétrole brut du gisement Statfjord en Norvège depuis sa mise en production en 1979. Source des données : Norwegian Petroleum Directorate.

Statfjord2

Pic d’un pays

Pour compenser le déclin des gisements vieillissants et satisfaire une demande croissante, les compagnies pétrolières doivent sans cesse développer de nouveaux gisements. Mais avec le temps, le déclin de la base productive s’accroit alors que les ressources pétrolières, par nature finies, s’épuisent. Le cycle de production complet d’une région est caractéristique et reflète cette antagonisme entre les efforts humains croissants pour trouver et extraire plus de pétrole de ressources limitées, et l’amenuisement de ces mêmes ressources. Le cycle de production démarre avec les premières découvertes et les premières mises en production de gisements. Ceux-ci sont généralement les plus gros, car les plus faciles à découvrir grâce à leur surface importante, et les plus rentables. Ces succès initiaux stimulent l’exploration d’autres structures géologiques prometteuses ; de nouveaux gisements sont découverts et mis en production, le débit augmente exponentiellement. La majorité du pétrole étant concentré dans quelques gros gisements, le reste étant dispersé dans une multitude de petits gisements, les futures découvertes sont progressivement plus petites et nécessitent plus d’efforts pour être localisées et exploitées. Et comme la quantité de pétrole découvert diminue, le débit de production fait de même quelques années ou décennies plus tard. Il atteint d’abord un ou plusieurs pics principaux, puis entre dans un déclin ponctué de rebonds temporaires. Finalement, les volumes de pétrole découverts sont si faibles qu’ils ne couvrent plus les coûts des forages, l’exploration cesse, puis la production, là encore avec un décalage temporel. La Figure 2 illustre le cas de la Norvège. De gros gisements sont développés dans les années 1970s et 1980s, alors que le pays entame son cycle de production. Vers les années 1990s, ces gisements entrent en déclin, et il est de plus en plus difficile de stabiliser la production par de nouveaux gisements, plus petits. Finalement, un pic (plateau ondulant) se forme pendant quelques années, puis le déclin commence peu après 2000, bien que des gisements soient toujours découverts et mis en production chaque année. Un rebond de production est aujourd’hui en cours, qui donnera un pic secondaire vers 2025, suivi d’une reprise du déclin (visible en Figure 3).

Figure 2 : Historique de la production de pétrole brut de Norvège, détaillée gisement par gisement ; le gisement Statfjord discuté précédemment est représenté. Les gros gisements sont généralement découverts et mis en production en premier, puis suivent les moyens, et enfin les petits. Le pic principal est franchi peu après 2000. Un rebond temporaire de production est en cours, qui donnera un pic secondaire vers 2025. Source des données : Norwegian Petroleum Directorate.

Norway_field_by_field_production

C’est une banalité de dire que pour produire du pétrole, il faut d’abord le découvrir. L’historique des découvertes constitue donc une information déterminante pour anticiper l’évolution future de la production : si les découvertes passent par un pic et entrent en déclin, il faut s’attendre à ce que la production fasse de même. Le décalage temporel observé entre le cycle de découvertes et le cycle de production est illustré pour la Norvège en Figure 3. Les découvertes norvégiennes sont passées par deux pics. Le principal a lieu fin des années 1970s, conduisant à un pic de production 20 ans plus tard. Le deuxième a lieu dans la période 2005-2014, où les découvertes rebondissent grâce à des prix du pétrole durablement élevés et grâce à une idée géologique nouvelle qui permet, en 2010, de faire une découverte majeure de plusieurs milliards de barils récupérables, le gisement Johan Sverdrup. Ce sont des concepts nouveaux, des technologies nouvelles ou des conditions économiques améliorées (par exemple prix à la hausse durablement) qui permettent, parfois, des rebonds de découvertes donc de production. Depuis ce pic secondaire, les découvertes sont reparties à la baisse, ce qui permet d’anticiper un pic secondaire de production vers 2025, décalé de 15 ans par rapport au pic des découvertes, et un retour du déclin.

Figure 3 : Historique des découvertes (bleu) et de la production (rouge) de pétrole brut de Norvège, et prévision de la production future (pointillés rouges). Un décalage temporel de 15-20 ans est observé entre les pics de découvertes et les pics de production. Source des données et prévisions (de 2020): Norwegian Petroleum Directorate.

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Pic d’un groupe de pays et pic mondial

Ces cycles de développement qui conduisent à des pics et déclins de productions pétrolières pour des pays individuels s’observent également pour des blocs de pays. La Figure 4 illustre le cas de l’Europe. Tous les pays européens ont franchi leur pic de production principal. L’Europe a un pic principal sous forme de plateau qui dure de 1994 à 2004 environ, puis suit un déclin ponctué de rebonds grâce aux pics secondaires de Grande-Bretagne et Norvège. Quant au monde entier (Figure 5), sa production pétrolière finira elle aussi par entrer en déclin.

Figure 4 : Historique de la production tous pétroles d’Europe, détaillée pays par pays, dont la Norvège. Source des données : BP statistical review of world energy 2021.

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Figure 5 : Historique de la production mondiale tous pétroles, détaillée par grandes entités géographiques, dont l’Europe. Les données arrêtées en 2020 montrent que le monde n’a probablement pas encore franchi son pic de production, mais certains blocs de pays comme l’Europe, l’Afrique et l’Asie Pacifique sont en déclin. Source : BP statistical review of world energy 2021.

Monde_peak_oil

L’expertise d’ASPO France ?

L’un des buts d’ASPO France est d’étudier la dynamique de développement de gisements décrite précédemment afin d’estimer le moment où des pays, des blocs de pays, et le monde atteignent leur maximum de production et entrent en déclin. Comme cette dynamique de développement est générale et s’observe partout, il est possible d’établir des outils prédictifs utiles. A titre d’exemple, nous avons vu comment l’historique des découvertes permet d’anticiper des pics de production. Il est évident que les approximations, les incertitudes, et les surprises technologiques associées à l’exploitation des hydrocarbures rendent les prévisions imprécises, mais il est tout de même possible d’avoir une idée de ce qu’on peut attendre des pays ou du monde comme production pétrolière, et d’extraire des tendances, qui sont des données fort utiles pour décider des politiques énergétiques. Décider sur base de données imparfaites est nécessaire, ici comme dans beaucoup d’autres domaines, et est toujours préférable à décider sur base de données inappropriées ou inexistantes. ASPO France vise également à relever les incertitudes des prévisions et des données, à présenter des indicateurs appropriés, afin de clarifier le panorama pétrolier et gazier mondial.

En quoi le pic de production de pétrole est-il important ?

Compte tenu de l’importance du pétrole dans le fonctionnement de nos sociétés industrialisées aussi bien pour les transports, le fioul de chauffage, la pétrochimie ou l’agriculture, la diminution des quantités de pétrole disponible va entrainer des bouleversements importants qu’il est nécessaire d’anticiper. Or ce n’est toujours pas le cas actuellement, malgré des signes avant-coureurs donnés par la hausse des prix du pétrole en 2004-2008, 2009-2014 et de nouveau à partir de 2021.

Nous pensons que la diffusion d’une information la plus réaliste possible à un large public est de nature à enclencher une prise de conscience et une réflexion sur nos modes de vie actuels, en vue d’imaginer des alternatives.

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6 Comments on Pic de production de pétrole

  1. Bonjour,
    Avoir consommé la moitié des réserves pétrolières du monde ne veut pas dire que le débit va diminuer à partir de ce point. Il diminuera seulement lorsque les réserves restantes seront inférieures à la capacité d’extraction/consommation.
    Exemple : Si on considère que les réserves de pétroles sont suffisantes pour 40ans et que notre consommation n’évoluera pas sur cette période (simple hypothèse de calcul), c’est que notre consommation est de 2.5% des réserves de la première année par an. Dans 39 ans, 97.5% du pétrole auront été consommés sans que notre consommation en soit impactée.

    • MINGUEZ Alain // juin 28, 2019 à 1:41 // Réponse

      Mon cher Olivier, vous oubliez la dynamique des sols. Votre capacité de production dépend de la pression, or la pression baisse passé la moitié de la production d’un gisement, donc votre capacité de production baisse passé la moitié du gisement. La somme des courbes de production d’un gisement à la même forme que la courbe de production mondiale, donc c’est bien un déclin que nous allons vivre de la production au niveau mondiale. La question est quand ? ASPO est là pour ça.

  2. Désolé mon commentaire arrive avec un an de retard mais je crois que vous vous trompez, on ne peut pas dans la réalité maintenir 100% du niveau de production jusqu’au jour où les réserves arrivent à zéro, c’est d’ailleurs tout le sens du schéma de production de Hubbert.

  3. Olivier, vous supposez que la production de pétrole suit une droite horizontale pendant les 40 ans, or ce n’est pas le cas dans la pratique. Qu’il s’agisse d’un puits de pétrole, d’un champs pétrolier ou d’un pays producteur de pétrole, tous suivent le même schéma comme indiqué ci-dessus. Des dizaines de pays ont atteint leur pic et ont vu leur production de pétrole diminuer ensuite, des régions aussi ont atteint leur pic. Par exemple L’UE des 27 a atteint son pic en 1999 avec +/- 4 millions de barils par jour (4Mb/j) et en 2013 sa production n’était plus que de 2Mb/j, soit un déclin de 50% en 14 ans. Plus récemment, suite au rapport sur l’énergie de BP, on constate que la région Asie-Pacifique est sortie d’un plateau ondulant de six années et est revenue au niveau de production de 2004, soit un déclin de 6% en deux ans. C’est un signal fort car dans cette région on trouve la Chine et l’Inde, dont la consommation de pétrole a considérablement augmenté ces dernières années. Les événements vont à présent s’accélérer, car un autre phénomène va s’intensifier, le déclin accéléré des exportations.

  4. PATRICE DE VIVIES // janvier 25, 2019 à 4:49 // Réponse

    Les réserves de pétrole étant finies, il y aura pas construction un « peak oil ».
    Mais il peut aussi y avoir une « peak demand » avant , conduisant à des « stranded reserves ».
    Regardons aussi du coté de la demande !

  5. YVES Mathieu // avril 14, 2023 à 6:03 // Réponse

    si aucune récession économique ni « guerre » le pic pétrolier pourrait intervenir vers 2028-2030 d’après mes données issues de mes relations encore actives et bien renseignées. Dans le cas de récession ou de guerre le pic pourrait avoir lieu bien avant

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